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Réalités scandinaves

Le comité Nobel et le soft power à la suédoise

December 10 2013 , Written by Baudoin Published on #Analyse, #Suède, #Nobel, #AstraZeneca, #Soft power, #médecine

AstraZeneca Nobel Medicine Initiative

AstraZeneca Nobel Medicine Initiative

La société pharmaceutique anglo-suédoise AstraZeneca a su nouer, directement ou indirectement, de nombreux liens avec la Fondation Nobel, remettant la plus prestigieuse et incontestée des récompenses internationales : le prix Nobel. Ainsi, en finançant des universités et des centres de recherche suédois qui sont également au centre du processus de décision du prix Nobel de médecine, AstraZeneca peut influencer les votes. Or, quand l’heureux élu est un professeur dont la découverte donne lieu à un brevet exploité par la société pharmaceutique anglo-suédoise, cela jette un discrédit sur le processus de décision et plus particulièrement la Fondation Nobel. Pour AstraZeneca néanmoins, l’opportunité commerciale est considérable… même si le vaccin en question est décrié. Très coûteux, son efficacité est fortement remise en question et les effets secondaires sont peu connus.

Le Nobel, une institution mondiale…

Comme presque chaque année depuis 1901, la Suède se trouve au centre de l’attention des communautés scientifiques, diplomatiques et littéraires à l’occasion de la cérémonie de remise des prix Nobel. Organisée invariablement le 10 décembre, elle couronne les personnalités dont les découvertes et les activités ont apporté une contribution fondamentale au bien-être de l’humanité. Pour la Suède, ceci est l’occasion de se mettre en scène et de s’offrir une vitrine qui exalte ses valeurs luthériennes de probité, d’objectivité, d’humanisme et de pacifisme.

Conformément au testament de l’industriel suédois Alfred Nobel, le but de la fondation Nobel (créée en 1901) est de récompenser les auteurs d’avancées conséquentes en physique, chimie, médecine et littérature. A l’issue d’un processus de décision aujourd’hui centenaire, un collège constitué d’universitaires des académies et universités de Suède désigne ainsi, parmi les différentes candidatures qui lui ont été soumises par le Comité Nobel, l’heureux détenteur, personne physique ou morale, d’un prix d’une valeur de 8 millions de couronnes suédoises (environ 900 000 euros). Quant au prix Nobel de la paix, il est décerné par le parlement de Norvège, alors que le « prix Nobel d’économie », officiellement appelé « prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel », est remis par la Banque de Suède et n’est qu’un prix annexe.

Ainsi, en plus d’un siècle d’existence, la fondation Nobel est devenue une référence internationale. Au cours de son existence, elle a inscrit à son palmarès des noms aussi illustres que Marie Curie (chimie 1903 et physique 1911), Albert Camus (littérature 1957), la Croix Rouge (paix 1917, 1944, 1963), Martin Luther King (paix 1964), Nelson Mandela (paix 1993), Albert Einstein (physique 1951), Ernest Hemingway (littérature 1954) ou encore Winston Churchill (littérature 1953). Même s’il n’est plus le mieux doté de nos jours, le prix Nobel demeure encore aujourd’hui la plus prestigieuse et incontestée des récompenses internationales.

… sous influences.

Paradoxalement, le prix Nobel n’a pas attendu qu’une litanie de personnalités hors du commun peuple son palmarès pour devenir populaire. En effet, porté par les idées positivistes et pacifistes du début du XXème siècle, il devient incontournable dès sa création. Il est ainsi le premier prix international aussi richement doté (150 782 couronnes suédoises, soit 900 000 euros actuels en tenant compte de l’inflation). De plus, cet engouement immédiat tient au contexte géopolitique de l’époque, en pleine confrontation des nationalismes. L’idée d’une compétition internationale permettant d’évaluer la qualité de la recherche d’un pays, sa vigueur intellectuelle et artistique a fait du prix Nobel un enjeu national, et le demeure encore aujourd’hui.

De fait, le prix Nobel est devenu rapidement l’objet d’influences et d’un intense lobbying de la part des grandes puissances comme l’Allemagne, le Royaume-Uni ou la France, puis les Etats-Unis et l’URSS au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Bénéficiant d’un préjugé culturel de probité et d’objectivité, le rôle de juge international de la Suède et de la Norvège n’a jamais été réellement remis en question, notamment parce que la faiblesse démographique et diplomatique de ces Etats ne leur permet pas de concourir dans le jeu des puissances. Pourtant, selon Antoine Jacob, auteur d’une Histoire du prix Nobel, la Suède, via le prix Nobel, a également apporté sa contribution au bloc de l’Ouest pendant la Guerre froide en récompensant un grand nombre de chercheurs et de personnalités américaines. Quant aux lauréats soviétiques, ils étaient pour la plupart des transfuges ou obligés de refuser le prix, sur ordre des autorités soviétiques. Objet d’influence, le prix est également un outil d’influence pour les Etats.

Aussi, le prix Nobel n’a pas été épargné par les controverses. Lauréats contestables, à l’image de Barack Obama (paix 2009), ou personnalité curieusement oublié, comme Ghandi, la Fondation Nobel n’est en effet pas exempte de critiques. L’application très rigoriste du testament d’Alfred Nobel entraîne des contradictions, notamment concernant les catégories scientifiques, avec l’évolution des techniques de recherche modernes : faut-il récompenser l’ensemble de l’unité de recherches ? Ou bien seulement son responsable ? Ou trois d’entre deux, au risque de léser un des découvreurs, à l’image de l’Italien Nicola Cabbibo, non récompensé en 2008 du prix Nobel de physique alors qu’il était l’auteur de la découverte principale sur laquelle ont travaillé les deux chercheurs lauréats ? Mais si certaines injustices sont le fruit de la rigueur des règles, d’autres seraient le résultat d’opérations d’influence menées par les Etats ou encore des entreprises privées.

Les liens du Nobel et d’AstraZeneca.

Avec l’intensification des échanges économiques, la capacité d’influence du Nobel s’est déplacée dans le champ commercial, une dérive particulièrement visible dans le domaine de la médecine où une grande découverte scientifique peut entraîner des profits commerciaux particulièrement importants. Or, de manière directe ou indirecte, la Fondation Nobel possède de nombreux liens avec l’industrie pharmaceutique en général et la société anglo-suédoise AstraZeneca en particulier. Créé en 1999 suite à la fusion de la société suédoise Astra AB, fondée en 1913, et le groupe britannique Zeneca Goup, AstraZeneca a atteint, suite à une série d’acquisition, le 7ème rang mondial du marché biopharmaceutique avec des produits phare comme le Seroquel (anti-dépresseur), le Crestor (cardiologie) ou encore le Nexium (gastro-entérologie). Mais la fin des brevets protecteurs au profit des génériques a entraîné une nette réduction des profits. Pour AstraZeneca, la recherche est indispensable pour trouver le nouveau « blockbuster » à même de doper la croissance de la société.

AstraZeneca possède ainsi de nombreux partenariats avec des universités et des centres de recherche suédois, notamment le Karolinska Institute. Placé au 44ème rang mondial en 2013 du classement de Shanghai, il est en pointe dans la recherche biomédicale et est en grande partie financé par des partenariats public/privé émanant de sociétés suédoises et étrangères : le 21 mars dernier, il a d’ailleurs annoncé la création, en partenariat avec AstraZeneca, d’un centre de recherche sur les maladies cardiovasculaires et métaboliques. Or, le Karolinska Institute est au centre du processus de décision du prix Nobel de médecine. En effet, ses chercheurs et ses professeurs constituent, avec les anciens lauréats du prix, le collège votant pour les candidatures soumises par le comité Nobel. Il existe également des liens financiers indirects entre la Fondation Nobel et AstraZeneca. En 2006, cette dernière a lancé la « AstraZeneca Nobel Medecine Initiative », destinée à promouvoir le prix Nobel de médecine en sponsorisant deux agences de communication de la Fondation Nobel : Nobel Media AB et Nobel Web AB.

Les relations entre le Nobel et AstraZeneca ne se limitent pas à ces liens indirects. Deux des cinq membres du comité Nobel, chargé de faire le tri entre les candidatures afin d’en présenter un nombre limité aux votants, sont également liés à la société. Ainsi, le professeur Bo Angelin, membre du comité Nobel pour le prix de médecine, a été fait membre du conseil d’administration d’AstraZeneca en mai 2007 ! Bertil Fredholm, un ancien président du même comité, a pour sa part collaboré à deux reprises en 2006 avec AstraZeneca comme consultant.

Le Nobel, un vecteur d’influence commerciale pour AstraZeneca.

Ces liens deviennent polémiques lorsqu’en 2008, le chercheur et médecin allemand Harald Zur Hausen obtient le prix Nobel de médecine aux côtés des Français Françoise Barré-Sinoussi et Luc Montagnier, récompensés pour la découverte du VIH. Virologiste allemand, Harald Zur Hausen est âgé de 72 ans lors de la remise du prix et est primé pour la découverte en 1983 du papillomavirus (VPH, virus du papillome humain), soupçonné d’être responsable de 75 % des cancers du col de l’utérus.

Si ce choix par la Fondation Nobel ne fait l’objet d’aucune contestation, une absence pose en revanche problème dans le palmarès 2008 : Jean-Claude Chermann. Ce dernier, pourtant codécouvreur du VIH en 1983, est cité dans tous les brevets ayant trait au VIH et a déjà reçu un prix pour cette découverte, le « King Faisal International Prize for Medicine » en 1993, aux côtés de Luc Montagnier et Françoise Barré-Sinoussi. Si la règle du Nobel stipule qu’il ne peut y avoir plus de trois lauréats par an, cela signifie que la présence d’Harald Zur Hausen a alors automatiquement éliminé le chercheur français. Sa découverte était-elle pourtant aussi fondamentale que celle concernant le VIH, maladie emblématique de la seconde moitié du XXème siècle et responsable de 25 millions de décès ?

Cette élection est une formidable opportunité commerciale pour AstraZeneca. En effet, l’entreprise a racheté en 2007 la société américaine MedImmune, firme détentrice du brevet développé grâce à la découverte d’Harald Zur Hausen et utilisé dans la confection des vaccins Gardasil et Cervarix, respectivement commercialisés par Sanofi Pasteur MSD et GlaxoSmithKline. En 2007, AstraZeneca a ainsi touché 236 millions de dollars de royalties pour les vaccins vendus à travers le monde. Pourtant, la récompense en 2008 du chercheur intervient au moment où ces produits, dès la fin 2007, sont fortement remis en question, notamment en Allemagne, son propre pays. Très coûteux, leur efficacité est fortement remise en question et les effets secondaires, peu connus, seraient à l’origine de décès en Inde ou plus récemment en Espagne. De plus, les soupçons de conflits d’intérêts entre les industriels et les autorités sanitaires locales, accusées d’avoir accordé leur agrément de façon hâtive, sont légions, que ce soit en France, aux Pays-Bas, aux Etats-Unis ou encore en Australie. Les enjeux sont colossaux : pour atteindre un maximum d’efficacité, il est recommandé de vacciner toutes les jeunes filles de 11 à 17 ans !

Le choix d’Harald Zur Hausen arrive au bon moment pour les promoteurs des vaccins VPH. L’effet Nobel permet de faire taire, d’une part, les critiques qui émanent principalement d’Allemagne, la patrie… d’Harald Zur Hausen ! En effet, comment le gouvernement et les médias allemands pourraient-ils prendre le risque de jeter le discrédit sur un de leurs plus éminents chercheurs ? D’autre part, en qualifiant cette découverte à la hauteur de celles du VIH ou de la pénicilline, le Nobel légitime les traitements qui en découlent mais aussi le fait que les autorités sanitaires de nombreux pays en fassent une priorité. Enfin, il offre une formidable publicité mondiale à un vaccin dont les ventes se limitaient pour l’essentiel à l’Europe et l’Amérique du Nord, juste au bon moment pour contrer les polémiques naissantes.

Le Nobel, les limites du soft power économique suédois.

Quel pays pourrait se permettre d’ignorer cette ressource s’il disposait d’un vecteur d’influence politique et commercial tel que le Nobel ? Si la Suède, sur le plan diplomatique, s’est limitée à appuyer ses alliés plutôt que ses propres ambitions, les industriels suédois comme AstraZeneca semblent disposer à faire de cette institution mondiale une des composantes de leur soft power. Mais alors que le soft power américain, dont le vecteur principal est Hollywood, est construit sur l’adhésion à un modèle de vie basée sur la consommation, un soft power issu du Nobel repose sur l’adhésion à des valeurs de pacifisme et de positivisme, qui s’accordent bien mal au capitalisme lorsqu’il entraîne la commercialisation de vaccins contestés, réservés aux pays développés disposant d’un système de santé gratuit ou d’une classe sociale à même de s’offrir les précieuses doses. De fait, si la manœuvre n’a pas provoqué tant de remous, ce type d’opérations ne peut pas être reproduit trop souvent, au risque d’entacher durablement la réputation du Nobel et celle de la Suède.

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