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Réalités scandinaves

H&M : qui sont les vraies victimes de la mode ?

May 13 2014 , Written by Baudoin Published on #H&M, #Suède, #Mode, #Habillement

H&M, cible de la Clean Clothes Campaign

H&M, cible de la Clean Clothes Campaign

« Fashion can be cheap and ethical ». Le mot d’ordre d’H&M, synonyme de succès éclair et de développement international fulgurant, a pris le 25 février 2010 une tournure tragique : 21 ouvriers sont décédés dans l’incendie de l’usine d’un de ses sous-traitants au Bangladesh, à cause de la présence de matériaux très inflammables entreposés sans précautions. Trois ans plus tard, l’effondrement du Rana Plaza, un immeuble de huit étages abritant des ateliers de couture, replaçait au cœur de l’actualité, par son ampleur inégalée (1 130 morts et 1 500 blessés), la question du contrôle de la sous-traitance par les donneurs d’ordres multinationaux, motivés par la recherche impérieuse du coût le plus bas. Un système inique dont le leader suédois est à l’origine, loin des valeurs initiales de la culture scandinave, et qui n’est pas sans rappeler les pratiques d’Ikea.

La recette H&M

H&M, de son nom complet Hennes & Mauritz AB, a été créée en 1947 par un entrepreneur suédois, Erling Persson à partir d’un  concept simple inspiré de ce qu’il avait observé en 1946 aux États-Unis dans les magasins de vêtement Barneys et Macy’s : vendre des vêtements de mode à petit prix. Le premier magasin, réservé aux femmes, est alors créé dans sa ville natale de Västerås, à une centaine de kilomètres à l’ouest de Stockholm. Le succès est important : en 1968, H&M rachète la chaîne de magasins suédois Mauritz Widforss, lui permettant de lancer une ligne de vêtements pour hommes. Le premier magasin en dehors de Scandinavie est inauguré en 1976 à Londres, ce qui marque le début de son expansion géographique sur le marché européen puis américain et asiatique. En 2013, H&M est une énorme société multinationale qui compte 116 000 salariés et 3 132 magasins à travers 53 pays, pour un chiffre d’affaires consolidé de 150 milliards de couronnes suédoises, soit 17 milliards d’euros.

Société familiale depuis toujours – l’actuel président directeur général est Karl-Johan Persson, petit-fils d’Erling Persson –, H&M doit son succès à un modèle économique basé sur une offre de produits de mode à des prix très bas. Pour cela, l’enseigne mise d’un côté sur la collaboration avec des artistes et des créateurs de mode reconnus, comme Karl Lagerfeld, Stella McCartney ou encore Madonna, afin de donner à ses collections une dimension luxueuse et tendance. De l’autre, elle s’appuie sur un réseau de fournisseurs et de sous-traitants situés dans des pays où la main d’œuvre est la moins coûteuse, à l’image de la Chine, de l’Inde, du Vietnam ou du Bangladesh. De fait, son positionnement lui permet de concurrencer à la fois des enseignes bas et moyen de gamme dont les produits sont de qualité et d’esthétique limitées, et des enseignes de luxe dont les vêtements hors de prix ne sont accessibles qu’à une très faible part de la population. En ce sens, le modèle d’H&M, une structure entièrement tournée vers le contrôle le plus strict des coûts par la suppression des intermédiaires et l’absence de système de franchise, ressemble fortement à celui d’un autre Suédois, le fabricant d’ameublements Ikea.

Une société engagée sur les plans social et environnemental

Les similitudes avec le géant scandinave du meuble ne s’arrêtent d’ailleurs pas là. H&M fait en effet partie des premières multinationales du textile à proposer des vêtements estampillés durable. En 2005, H&M s’est ainsi vue attribuée par l’Union européenne le label « La Fleur », qui garantit la limitation de l’emploi de substances nocives à l’environnement dans la fabrication des vêtements (1). Membre de l’Organic Exchange, une organisation de promotion de l’exploitation de coton biologique, elle a lancé en 2010 une collection de vêtements fabriqués à 100 % en coton biologique, dont le succès a entraîné à mainte reprise la reconduite de l’opération.

Cette éthique ne se limite pas seulement à l’environnement. À l’instar de nombreuses multinationales, H&M a créé sa propre fondation, financée en 2013 à hauteur de 500 millions de couronnes suédoises (55 millions d’euros) par la famille Persson, dont le but est de mettre en place, dans les pays où H&M se fournit, des programmes d’ordre humanitaire portant sur des sujets aussi divers que l’éducation, l’accès à l’eau ou encore le développement des femmes. Elle est aussi à l’origine de collections de vêtements, comme « Fashion Against Aids », dont une partie des fonds récoltés est reversée à des associations de luttes contre le SIDA. Par conséquent, elle possède parmi ses partenaires des ONG telles que l’UNICEF, WaterAid ou encore CARE. Comme Ikea, H&M se présente comme un ambassadeur d’un commerce éthique et durable en adéquation avec les valeurs scandinaves de probité, d’efficacité et de respect.

L’hypocrisie du low-cost

Profitant de l’émoi provoqué par la catastrophe du Rana Plaza, H&M était apparue en 2013 comme un symbole de ces sociétés multinationales soucieuses du sort des ouvriers de la sous-traitance, en devenant l’un des premiers signataires d’un accord syndical sur la sécurité des usines textiles au Bangladesh. Pourtant, H&M est impliquée dans de nombreuses affaires, certes moins médiatisées que celles du Rana Plaza, qui nuisent fortement à sa réputation. En février 2010, un incendie chez un sous-traitant d’H&M ne respectant les normes élémentaires de sécurité a provoqué la mort de 21 ouvriers (et 50 blessés) dans une usine du Bangladesh. En 2012, H&M est accusée par l’ONG Anti Slavery d’utiliser pour la fabrication de ses vêtements du coton récolté par des enfants en Ouzbékistan. Et si l’entreprise réagit toujours publiquement, les bonnes intentions ne dépassent que rarement le seuil du discours. Dans un article de 2013, l’ONG CorpWatch, en collaboration avec la Clean Clothes Campaign, a ainsi dénoncé le fait que les engagements d’H&M n’étaient pris « non pas pour des raisons philanthropiques, mais en raison des protestations qui commençaient à perturber la chaîne logistique ». Une critique également valable sur le plan environnemental, où H&M, qui revendique son éco-responsabilité à travers l’utilisation de coton durable, occulte délibérément le fait que ce dernier ne contribue qu’à 1 % de sa production totale, quand il n’est pas composé lui-même à 30 % de coton issu de culture OGM.

Cet effet pernicieux résulte directement du modèle économique d’H&M, basé sur cette recherche constante du moindre coût, et qui de fait, ne permet pas à la société de tenir ses engagements éthiques et environnementaux. Mis en concurrence afin de fournir les prix les plus bas, les fournisseurs ajustent au minimum les salaires et les conditions de travail de leurs ouvriers afin de satisfaire les commandes de l’enseigne, souvent au détriment de la sécurité et des droits de l’Homme. H&M a ainsi été épinglée dans plusieurs pays, comme le Bangladesh et le Cambodge, pour le non-respect du salaire minimum légal. En fait, l’intérêt du modèle économique de la marque repose sur sa capacité à imposer ses coûts à ses fournisseurs. Or, ce modèle est aujourd’hui en péril pour plusieurs raisons. D’une part, les Principes directeurs de l’OCDE rendent les multinationales responsables du respect des droits des travailleurs chez leurs sous-traitants. D’autre part, la hausse du coût de la main-d’œuvre dans les pays asiatiques rogne les marges des sociétés : H&M a pour cette raison perdu 200 millions de couronnes suédoises (22 millions d’euros) sur le dernier trimestre 2011. À moins de partir en Afrique, le modèle économique d’H&M a du plomb dans l’aile.

Le modèle suédois et le développement d’un modèle low-cost

Existe-t-il un lien entre les valeurs suédoises revendiquées et le développement de ces modèles low-cost particulièrement inégalitaires et pernicieux ? La ressemblance des modèles développés par les géants suédois H&M et Ikea légitime de se poser cette question, tant le décalage entre les discours et la réalité semble important. Or, les ONG et la société civile sont de plus en plus attentives à ce type de contradiction. Bloquée entre cette recherche constante du coût le plus bas, souvent au détriment de l’éthique et de l’environnement, et la pression de l’opinion publique, H&M ne dispose que d’une marge de manœuvre extrêmement limitée, que le paravent du préjugé des valeurs scandinaves ne masque plus. Une contradiction dont la concurrence profite déjà, à l’image de la campagne provocatrice et controversée « Made in Bangladesh » d’American Apparel, dénonçant de manière subtile les pratiques du leader scandinave.

 

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(1) Fédération Européenne du Développement Durable, Acheter pour un monde meilleur : 1 000 grandes marques passées au crible de l’éthique et de la responsabilité sociale et environnementale, Eyrolles, 2008.

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C
Le luxe est parfois et très souvent rattaché au cher, pourtant voici la preuve que de grandes enseignes offrent la possibilité d'être à la mode tout en étant dans ses moyens.
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L
Interessant, j'ai eu le débat en début de semaine avec des collegues toute contente d'aller acheter des fringues à 2€ chez une nouvelle enseigne arrivant en France (venant du UK, je sais pu le nom), quand j'ai demandé si ça ne les embêtait pas de participer à ça...même si on a pas forcement les moyens de se payer des tas de fringues, à un moment quand on paye que dalle je ne comprend pas que personne ne se pose de question d'où viennent des prix si bas...
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B
Merci pour le commentaire. Le problème est qu'on est habitué à raisonner en consommateur... et pas en citoyen ou en producteur. On parle des vêtements mais on pourrait également parler des produits électroniques, etc. <br /> <br /> bonne journée